Pour ceux qui ne connaissent pas
Moore et son univers à la fois génial et morbide, je conseille plutôt de commencer avec
Watchmen, oeuvre tout aussi forte mais plus grand public à mon sens, tant sur le plan graphique que scénaristique.
V pour Vendetta est âpre, sale, difficile à digérer. Comme cette colorisation passée et triste qui rehausse à peine un trait désabusé, le propos est, en apparence, brute, malsain, glauque, presque inacceptable. Mais, comme en toute chose, la persévérance a du bon.
Il ne s'agit plus là d'un état fasciste mis à mal par un superbe héros, résistant glorieux et magnifique, non, il s'agit de l'âme humaine, du destin, des petits riens qui font tout...
V est un salaud, un comédien, un anarchiste, un fou...et pourtant, il y a du bon en lui.
L'Angleterre post-apocalyptique de Moore est effrayante, sinistre, totalitaire mais également survivante, dernier bastion d'ordre dans un monde où même les Dieux meurent et font s'abattre le feu du Ciel sur les innocents. La Main, l'Oeil, le Nez, le Destin...pauvres ersatz de sens dans un monde merdique où, finalement, rien n'était guère mieux avant.
Moore est un fou. Un génie certes, j'en suis convaincu, mais un être hors-de-tout. Sa noirceur, dans une maîtrise scénaristique parfaite, devient pour nous un pur moment d'extase devant tant d'intelligence, de raffinement, de tensions multiples et suffisamment dosées pour qu'elles fassent saigner tout en créant cette vicieuse accoutumance qui veut que l'on aime cette subtile torture qui malmène les codes habituels de la narration.
Sur le fond, je n'aime pas vraiment les idées de Moore, paranoïa extrême matinée de révolte pré-adolescente...sur la forme, le propos est soutenu par un telle capacité à mettre en scène, un tel cisellement des dialogues, un découpage si parfaitement mis en place, que l'on ne peut que céder devant les assauts de ce qui constitue rien de moins qu'un chef d'oeuvre de la littérature, tous genres confondus.
Certains verront
V pour Vendetta au cinéma, je les plains. D'autres le liront, je les envie déjà, chanceux qu'ils seront de découvrir pour la première fois une telle oeuvre. D'autres encore la comprendront et en resteront affectés, d'une manière ou d'une autre.
Il serait dommage toutefois de venir aux comics directement par une voie aussi difficile. Tel un alpiniste, il vaut mieux commencer par la varappe en salle, puis de petits monts, avant de se risquer sur l'Himalaya.
La hauteur ne se savoure que lorsque l'on a l'habitude du sol et de la gravité, cette gravité subjective mais bien réelle qui maintient certains auteurs à terre tout en n'ayant aucune prise sur certains génies qui s'élèvent, presque par nature ou par instinct, vers des cimes si hautes que le manque d'oxygène conduit bien des lecteurs à abandonner avant le sommet.
Je n'aime pas les idées de Moore, mais j'aime la façon dont il les exprime. Ce type, à la gueule de serial-killer, en devient presque beau, habile qu'il est à manier nos sentiments et tordre notre esprit à travers quelques pages.
C'est pour éprouver ce genre de sensations que je lis.
C'est pour créer ce genre de sentiments que j'écris.
Plus qu'à conseiller aux lecteurs de comics, Moore est à conseiller aux auteurs de tout genre, tant il est parfait dans chaque pas, chaque ébauche, chaque variation.
V pour Vendetta ne plaira pas à tout le monde, et c'est une bonne chose, mais il sera difficile d'y trouver un grossier défaut ou un manque quelconque d'inspiration ou de profondeur. Moore est comme Shakespeare ou Racine, on aime ou on n'aime pas, question de goût, mais il est impossible de lui nier un propos original, maîtrisé et d'une intelligence rarissime.
Vi veri veniversum vivus viciFaust("Par le Pouvoir de la Vérité j'ai, de mon vivant, conquis l'Univers.")